Relancer son entreprise…

Source: Magazine ENTREPRENDRE aujourd’hui – CCI Luxembourg
https://www.ccilb.be/fr/magazines

La procédure de réorganisation judiciaire (PRJ) et
la médiation offrent de vraies solutions…

En ces temps difficiles pour les entreprises, confrontées on le sait à une
véritable « lasagne » de crises, il nous semblait opportun de faire le point
sur les outils offerts par le droit de l’insolvabilité. Il y a peu, en nos murs,
nous avons sur le sujet organisé une présentation de 2 outils qui s’intègrent
parfaitement dans le droit des affaires, ils se nomment réorganisation
judiciaire et médiation d’entreprise

Tibault le Hardÿ (Shape Law Firm – Marcheen-
Famenne), avocat et médiateur, spécialisé
en droit des entreprises en difficulté,
nous a donc expliqué les avantages de la
PRJ, notamment comme outil de transfert,
et comment celle-ci peut être utilisée pour
remettre/reprendre efficacement une activité.
Il a également complété l’information
sur les possibilités offertes par la médiation.
Interview…


EA : De manière très concrète, tout
d’abord, dites-nous un peu ce que
recouvre le sujet ?
Tibault le Hardÿ :
Les enseignements tirés
de ma pratique d’avocat, de médiateur d’entreprise
et de mandataire de justice me permettent
de pouvoir brosser cette matière et
de l’aborder efficacement avec des patrons.
Afin d’illustrer mes propos, je vais vous donner
un exemple récent, rencontré dans le
domaine de la construction. Un administrateur
de TPE, âgé de 65 ans, m’a récemment
expliqué les nombreuses difficultés qu’il a
rencontrées…

 

EA : C’est-à-dire…
T. lH.
:
Cet entrepreneur a fondé son entreprise
générale de construction, il y a plus de
25 ans. Il y a près d’un an, lors de la première
réunion que nous avons eue, il m’a expliqué
les difficultés qu’il rencontre couramment,
comme par exemple un litige sur chantier,
avec un client qui retient la dernière tranche
de 5 % abusivement, ou un contrat mal négocié
et une explosion des coûts des matériaux
conduisant à une perte sur le chantier, des
ouvriers malades ou démotivés… Ce qui est
interpellant, c’est que cet homme semble
désabusé, terminant chacune de ses phrases
par un « j’en ai marre ». Avec lui, nous avons
fait un tour des solutions possibles et j’ai
creusé un maximum afin de comprendre
la situation !

 

EA : Et…
T. lH. :
En général, si un entrepreneur
comme celui-là accepte l’exercice, il se livre.
On entend alors des mots très forts, du genre
« je ne veux pas faire faillite », « j’ai de beaux
chantiers », « mon fils est dans l’entreprise »,
« il y a un conducteur de chantier excellent
qui ne mérite pas d’être au chômage ». C’est là
que l’on comprend ce qui lie l’entrepreneur à
son projet de vie. Je passe alors en revue les
différents outils qu’offre la matière du droit
de l’insolvabilité et nous mettons en place
une stratégie.


EA : Dans le cas présent, cela donne
quoi…
T. lH. :
Nous avons décidé de demander
l’ouverture d’une PRJ par transfert d’activités.
Trois mois plus tard, le fils de l’entrepreneur
et le conducteur de chantier créaient
une nouvelle entreprise qui a pu reprendre
les chantiers intéressants et les ouvriers qui
voulaient continuer l’aventure. Les « embêtements
», les dettes et les litiges ont, eux, été
liquidés avec l’ancienne structure. Il s’agit
d’une sorte d’« autocession », naturellement
très encadrée et surveillée par le tribunal
afin d’éviter toute fraude.


EA : Plus globalement, parlez-nous
d’une PRJ…
T. lH. :
« PRJ » est l’acronyme de « procédure
de réorganisation judiciaire ». On parle
en l’espèce de « sauvetage » pour les entreprises,
puisque l’on cherche à éviter les faillites
tout en permettant la continuité des
activités des entreprises. Très simplement,
l’entreprise confrontée à des difficultés
(problème de trésorerie, perte d’un contrat
important, marché compliqué, dettes insurmontables…)
peut obtenir la protection
du tribunal de l’entreprise, par le simple
dépôt d’une requête. Il en résulte qu’elle
pourra par exemple négocier des accords
amiables, imposer des plans de paiement,
ou encore organiser le transfert de l’activité
rentable vers une structure saine et assurer
sa continuité.

 

EA : Et la médiation ?
T. lH. :
La médiation d’entreprise permet de
« déminer » des situations de crise (négocier
un plan de paiement avec l’Administration,
ou Engie, par exemple). Le médiateur peut
également aider un entrepreneur à préparer
un plan de sauvetage, ou le transfert des activités
qui méritent d’être sauvées afin qu’elles
ne « tombent » pas dans la faillite.


EA : On parle donc de protection pour
l’entreprise
T. lH. :
Oui… Et dès la demande de protection,
l’entreprise en difficultés est protégée
contre une citation en faillite et la plupart
des voies d’exécution (saisies, vente forcée…).
Dès que le tribunal « ouvre » la procédure
(par un jugement), toutes les dettes
sont ‘gelées’ pendant ce qu’on appelle une
période de ‘sursis’. S’il y a des saisies déjà en
cours, le tribunal a le pouvoir d’exiger leur
mainlevée.


EA : Quelle est la durée du sursis ?
T. lH.
: C’est une période de 6 mois (en principe)
durant laquelle l’entreprise pourra se
réorganiser et mettre en place les solutions
permettant d’assurer la continuité de son
activité et éviter la faillite. Il faut donc imaginer
qu’une ‘bulle d’air’ est offerte à l’entrepreneur
en difficultés. Mais, attention,
tout n’est pas gelé quand même ! S’il s’agit
de mettre ‘sur pause’ le paiement des dettes
anciennes, les nouveaux engagements (les
factures qui arrivent après l’ouverture de la
PRJ) devront, eux, être respectés. De plus, il
s’agira de travailler à des solutions pérennes
durant cette période, grâce aux différents
« outils » qu’offre la procédure.

 

EA : Il existe donc plusieurs formes de
PRJ et de médiation ?
T. lH. :
Oui, il y a 3 formes principales.
Chacune poursuit un objectif particulier que
l’on peut résumer simplement sans entrer
dans le détail comme suit.
▶ La PRJ 1 vise à rechercher des accords
amiables avec quelques créanciers
(échelonnement de paiements, révision
des taux d’intérêts applicables, nouvelles
garanties, accord commercial…).
▶ La PRJ2 vise à rechercher un accord collectif,
c’est-à-dire avec tous les créanciers
cette fois (par un plan global de redressement).
Dans la plupart des cas, pour
les créanciers, il s’agira alors d’appliquer
l’adage « un vaut mieux que deux tu l’auras
» et accepter le plan…
▶ La PRJ3 vise le transfert d’activités sous
autorité de justice. Il s’agit ici de céder
les activités qui peuvent encore l’être
durant le délai de sursis. L’objectif est
d’éviter le « fracas » de la faillite, dans
le cadre de laquelle les actifs sont vendus
« à la casse ». Depuis la pandémie,
nous voyons beaucoup d’« autocession ».
C’est-à-dire que les actionnaires d’une
société au bord de la faillite, mais avec
une activité qui a encore de la valeur,
créent une nouvelle société (Newco) qui
rachète l’activité avec (une partie) du personnel.
L’« ancienne » structure, devenue
une « coquille vide » (mais toujours le
passif qui lui n’a pas été transféré) sera
alors liquidée ou mise en faillite. Cela
peut être choquant comme pratique, de
sorte qu’elle est encadrée naturellement.

 

EA : Et les frais d’avocat là-dedans ? Que
coûte réellement une PRJ ?
T. lH. :
C’est une question à laquelle il est extrêmement
difficile de répondre vu que chaque
procédure est différente. Dernièrement, un
avocat s’est prononcé dans la presse à ce
propos en indiquant que les frais à engager
se situeraient dans une fourchette entre
3.000 et 10.000 euros. Voici les éléments qui
influenceront les frais : nombre de créanciers,
nombre d’accords amiables à négocier,
contestations des créanciers pendant la PRJ,
difficultés à élaborer un plan, durée de la
période de sursis…


EA : Est-ce une solution pour une TPE ?
T. lH. :
Dans certains cas, les frais liés à une
PRJ sont tels qu’il convient de conseiller
de déposer le bilan plutôt que de déposer
une requête en réorganisation judiciaire.
L’entrepreneur pourra alors plus rapidement
se protéger des créanciers et ‘se refaire’.
Naturellement, cela pose une série de questions
: la confiance des partenaires, les frais
liés à la relance d’une nouvelle structure,
les ‘comptes à rendre’ au curateur… Il y aura
donc toujours un calcul d’opportunités à
réaliser avec le comptable et/ou l’avocat.
La décision doit être réfléchie et ne pas être
prise à la légère.


EA : Le médiateur d’entreprise est un
acteur important dans la procédure ?
T. lH. :
Oui, il est une sorte de facilitateur.
C’est souvent un avocat reconnu pour son
indépendance et son expertise qui intervient
‘au milieu du jeu de quilles’ (entre l’entreprise
en difficultés et un créancier menaçant,
par exemple) et qui rendra des comptes
au tribunal. Il est désigné de manière ultra
souple par le tribunal par une simple ordonnance.
Ce titre lui donnera une belle légitimité
pour « approcher » une banque ou un
fournisseur important par exemple.


EA : Son rôle va jusqu’où…
T. lH. :
Le médiateur pourra faire des propositions
concrètes, comme suggérer des
pistes d’accord, conseiller l’ouverture d’une
PRJ ou, au contraire, une mise en faillite,
élaborer les grandes lignes d’un plan de restructuration…

Portrait de Tibault Le Hardÿ, avocat spécialisé en droit des entreprises en difficulté et associé fondateur du cabinet d'avocats Shape Law Firm de Bruxelles.
Tibault le Hardÿ – Shape Law Firm